Installée dans le clocher de l’église qui domine généralement le village, la cloche, toujours consacrée, est un instrument utilisé pour de multiples fonctions. Elle peut sonner l’alerte pour informer ou prévenir : le tocsin. La cloche peut rythmer ou donner le temps qui s’écoule avec un signal sonore pénétrant partout et en même temps : on pense, par exemple, à l’Angélus. Elle marque surtout les rites religieux : appeler les fidèles à l’office ou accompagner les moments de la vie spirituelle (baptême, mariage…). Elle peut aussi annoncer des épisodes heureux (sonner à toute volée) ou dramatiques (sonner le glas).

Vouée avant tout au culte, la cloche reçoit avant sa mise en service la bénédiction divine avec des rites marquants toujours l’histoire de la paroisse. On comprend pourquoi la cloche a fait l’objet de multiples chroniques sur son histoire toujours féconde et ses évènements toujours riches.

L’article de Jean Crapart sur « la grosse cloche d’Annet » entre dans l’une de ces chroniques que l’on lira (ou relira) avec plaisir, j’en suis sûr :

Durant l’année 1993, de janvier à octobre, des travaux de restauration de l’église d’Annet ont été entrepris : la façade ouest et le clocher ont été démolis et reconstruits en totalité.

Depuis toujours, l’édifice, établi sur un sous-sol trop meuble constitué d’alluvions de la Marne, a tendance à s’affaisser par endroits, d’où des fissures, des risques d’effondrement. Reconstruit au début du XVIIIe siècle, il a connu depuis des travaux de remise en état incessants mais il paraît que cette fois les micro-pieux nombreux et profonds coulés avant le remontage sous la façade et le clocher règlent définitivement le problème !

Le clocher démoli, les trois cloches qu’il contient ont dû être descendues et entreposées au sol en attendant la reconstruction. Les deux petites ont facilement trouvé place dans un hangar municipal ; la grosse solidaire de l’armature en bois qui la contient, le beffroi, était difficilement transportable. Elle est restée posée sur le sol, près de l’église, derrière la barrière du chantier, protégée par une bâche en plastique, ce qui a permis à certain(s) curieux d’aller l’observer de près, car peu nombreux étaient ceux qui avaient eu l’occasion de monter dans le clocher pour la voir. De toute façon, la journée « portes ouvertes » organisée le 26 juin 1993, avant la remise en place du beffroi, a permis à tous ceux qui le désiraient de l’approcher en toute liberté.

Elle est de dimensions moyennes : 1,14 mètre de diamètre maximum, 0,92 mètre de hauteur, pour un poids de 960 kg. Elle porte sur la panse quelques petits motifs (un christ, un saint) moulés en relief dans la masse au moment de la fabrication. Mais ce qui attire le plus l’attention ce sont deux lignes de dédicace placées au sommet, comme il est d’usage. Avec un peu d’application on peut lire en lettres majuscules :

1ère ligne : SIT NOMEN DOMINI BENEDICTUM + L’AN 1823 J’AI ETE FONDUE A PARIS PAR JOSEPH REVEILHAC

2ème ligne : PARRAIN Mr LE VICOMTE DELERY MERE D’ANNET LIEUTENANT GENERAL DES ARME DU ROI Me LA VICOMTESSE DELERY SON EPOUZE.


Le moins qu’on puisse dire est que le nommé Joseph Reveilhac prend ses aises vis-à-vis de l’orthographe, « épouze » passe encore, mais « arme » pour « armées » et donner à Annet un maire nourricier … Et c’est gravé dans le bronze pour l’éternité !

La citation latine qui ouvre le texte est extraite du psaume 112 et signifierait « Béni soit le nom du seigneur ». Les latinistes vérifieront.

Le parrain est François Joseph Chaussegros de Léry propriétaire du château d’Etry, général en retraite (lieutenant général – cela est moins banal – grade qui correspond à celui d’un général de division d’aujourd’hui). Baron d’Empire, Louis XVIII l’a fait vicomte. Il est maire d’Annet depuis 1821 et le restera jusqu’à sa mort en 1824.

La marraine (Me dans le texte) est tout naturellement son « épouze », la vicomtesse née Kellermann, fille du maréchal célèbre depuis la victoire de Valmy. Notons au passage qu’elle se prénommait Marguerite Cécile (elle signe son contrat de mariage M C Kellermann) et non Cécilia comme l’affirment les plaques d’une rue d’Annet qui portent son nom.

La cloche a été fondue en 1823. Certains ont pensé que la précédente était disparue durant la révolution, réquisitionnée pour fournir le métal nécessaire à la fabrication d’armes. Ce n’est pas vraisemblable, d’une part, au cours de ces saisies, il était toujours laissé au moins une grosse cloche, et d’autre part les Annetois ne seraient pas restés avec un clocher muet pendant plus de trente ans.

Toutefois il Y a bien eu, à Annet comme dans pratiquement toutes les paroisses, des récupérations de cloches. Le 4 octobre 1793, le « conseil général de la commune » reçoit du district de Meaux l’ordre de « descendre les cloches ». Le 30 octobre, le maire, Desgratoulet, reconnaît que la commune en a fait déposer trois au port d’Annet qui semble avoir été un lieu de regroupement des cloches des églises de la région pour vraisemblablement un acheminement par la Marne.

Alors, pourquoi une nouvelle cloche en 1823 ? La raison en est toute simple, elle est donnée par une lettre datée du 21 juillet de la même année de l’adjoint au sous-préfet de Meaux: « la cloche de la commune d’Annet a été cassée à Pasques dernier, moins par accident que par suite de vétusté ».

On se prend à rêver. Quel âge pouvait avoir cette cloche si vétuste ? Et si elle avait pu nous parvenir …

Les édiles d’Annet se mobilisent car « le besoin d’avoir une cloche se fait sentir tant pour le culte que pour appeler les ouvriers au travail, et d’ailleurs pour prévenir dans le lointain des accidents qui pourraient arriver ». L’adjoint dûment mandaté par son conseil se rend à plusieurs reprises à Paris « pour aviser aux moyens d’en avoir une autre à moindre frais possible ».

Un fondeur s’engageant à reprendre l’ancienne et à en fondre une nouvelle — qu’il garantit pendant un an — est enfin trouvé. Un devis est établi pour la cloche et pour les réparations et travaux occasionnés par le changement. Il se présente comme suit :

1° pour Mr Reveilhac fondeur à Paris prix de l’échange de l’ancienne cloche contre une nouvelle, compris transports cy………… 906,70

 2° pour le charpentier chargé de descendre l’ancienne cloche de remonter la nouvelle et pour quelques légères réparations de son état cy …… 128,30

 3° pour le serrurier à cause de quelques réparations aux ferrements cy 20,00

 4° et pour le maçon à cause d’ouvertures cy 10,00

Le total est de mille soixante cinq francs cy 1065,00

Et selon l’adjoint « il parait impossible de parvenir au remplacement désiré pour une dépense moindre que celle indiquée ». Bon, mais maintenant il faut trouver l’argent nécessaire à ces travaux !

Le conseil municipal, autorisé à se réunir par le sous-préfet de Meaux, est convoqué en séance extraordinaire le 15 août à « une heure de relevée ». Il est alors composé de neuf membres: « Le vicomte de Léry, maire et de messieurs Chartier, Duflocq, Louis Simon, Galet, François Desgratoulet, Mennesson, Delatre ». Et comme on va parler argent (et forcément impôt supplémentaire) le conseil s’est adjoint sept personnes « comme les plus imposés » de la commune.

Il a été convenu que la fabrique de l’église d’Annet participerait à la dépense pour un sixième, le complément, soit les cinq sixièmes représentant une somme de 887,50 F, restant à la charge de la commune. Il est décidé que ces fonds seront fournis par une imposition extraordinaire dont le détail n’est pas donné dans les documents retrouvés.

Le sieur Reveilhac est payé sur l’exercice 1824 en deux fois. L’adjoint signe le 26 novembre et le 20 décembre 1824 (« à défaut de Maire » car le vicomte de Léry est décédé le 5 septembre) deux « mandat du maire sur le percepteur », le premier pour un acompte de 587 F, le second pour le solde de 300 F qui est effectivement payé le 9 mars 1825. Les comptables remarqueront que la facture a été arrondie à 887 F …

Voici Annet équipé de sa nouvelle cloche, le fondeur s’est engagé à la garantir pendant un an. Qu’il soit rassuré et repose en paix, 173 années se sont écoulées et elle est toujours là, en bonne forme, fidèle au poste …

Sources :
"Nos trois clochers", journal paroissial d'Annet - Fresnes - Carnetin, juin 1960.
 Archives départementales de Seine-et-Marne :
  • cote 4 Op 5/2, dossiers provenant des archives préfectorales relatives aux travaux réalisés par la commune d’Annet (écoles, mairie, église …)
  • cote AZ 1316, « Annet-sur-Marne au point de vue religieux de 1791 à 1795 », par l’abbé Chappelet curé d’Annet, extrait du bulletin d’Histoire et d’Archéologie du diocèse de Meaux 1904.
Sur la partie haute de la grosse cloche, les termes « …MERE D’ANNET… » se lisent aisément et sans équivoque.

Rédacteur : Jean CRAPART