L’ancien Régime était riche d’une multitude de droits seigneuriaux, variables selon les lieux et les coutumes, parfois identiques sous des noms différents, s’acquittant en deniers ou en nature… La liste serait longue : le cens, sorte d’impôt foncier, le champart, partie de la récolte due au seigneur, le rouage, taxe levée sur les voitures, le banvin, perçu sur la vente des vins, les lods et ventes en cas de mutation ou de vente d’une propriété, etc.… A cela, il faut ajouter les banalités. Ce sont des droits payés par les manants pour l’utilisation, obligatoire, d’installations appartenant au seigneur. En général, dans les seigneuries on trouve : un moulin banal, un four banal, un pressoir banal quand la vigne est présente.

A Annet, il existait un moulin banal dit encore bannier où les Annetois étaient tenus de venir faire moudre leur grain. Il était situé sur la Beuvronne près de la « Porte d’Annet ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il avait la particularité de ne plus appartenir au seigneur d’Annet, mais à celui de Fresnes. Le prieur de Saint-Martin-des-Champs lui avait vendu moyennant 34 livres de rente annuelle. C’est certainement la présence de cette propriété fresnoise du côté annetois de la rivière qui est à l’origine du percement de la « porte »(1).

Aucun texte retrouvé jusqu’ici ne mentionne la présence d’un four banal à Annet, le seigneur avait peut-être autorisé les habitants à en posséder un. La seule allusion à un four figure dans le nom de la croix (aujourd’hui disparue) située au départ du chemin menant au moulin depuis le chemin d’Annet à Fresnes. Dans certains textes elle et dite « croix du four » ou « croix de la pelle à four ». Un four, près de la Beuvronne et du moulin, en pleine nature ? Peu vraisemblable.

Par contre, Annet cultivait la vigne, des pressoirs banaux, on en trouve plusieurs à toutes les époques : dans une grange des bâtiments de l’ancien prieuré, à l’emplacement de l’actuelle mairie, dans la ferme seigneuriale de Saint-Martin…

Une banalité peu banale

Surprise, un peu avant la Révolution, dans les années 1770, apparaît une banalité que nous n’avions jamais rencontrée jusqu’ici. Elle figure dans des discussions menées entre le seigneur haut justicier du lieu, c’est-à-dire le prieur de Saint-Martin-des-Champs de Paris, l’abbé Elizabeth Théodose Le Tonnelier de Breteuil, et Jean-François-Joseph Geffrard de la Motte, devenu seigneur de Sanois par son mariage avec Anne Louise Rulault héritière du fief. Ce second personnage, à la vie assez tumultueuse, s’est fait connaître sous le nom de Comte de Sanois. Le but des tractations est, d’abord, de mettre fin à une série de procès engagés depuis des décennies, en établissant de façon claire lequel des deux doit percevoir les diverses redevances dues par les propriétaires de certaines terres ou maisons de la paroisse d’Annet, car tout n’est pas aussi limpide qu’on pourrait le croire. Par exemple, pour une propriété de la famille Afforty (originaire de Villepinte) aujourd’hui château de Louche, on ne sait plus de qui relève le domaine, d’où des difficultés et des chicanes. Pour les éviter il a été décidé de partager les droits, surtout ceux de lods et ventes, les plus intéressants. Il s’agit aussi, pour le prieur, de mettre fin à une prétention des seigneurs de Sanois qui depuis plus d’un siècle se disent « seigneurs d’Annet en partie », alors qu’ils ne sont que des vassaux du prieur.

Au cours des longs pourparlers, une controverse inattendue apparaît, sur le droit pour le seigneur de Sanois de posséder… un taureau banal ! Il existait donc un taureau banal à Annet au XVIIIème siècle, avec obligation d’avoir recours à ses prestations !

En effet, Geffrard de La Motte prétend que : « au dit fief (de Sanois) appartient le droit de pressoir et taureau banniers ». Les représentants de messieurs de Saint-Martin, partie prenante aussi, remarquent : « le droit de pressoir et de taureaux bannaux appartient quelquefois aux seigneurs haut justiciers mais il faut pour cela qu’ils aient titres et possession constante. Il est surprenant que le possesseur d’un simple fief prétende avoir un tel droit : si Monsieur de la Mothe l’a, il faut que M. de Breteuil fasse abattre ses pressoirs et ses fermiers, tuer leurs taureaux. »

Eliminer les taureaux des fermiers du prieur ? Ses procureurs réagissent rapidement : « Messieurs de Saint-Martin ont mal à propos conclu que de ce que le fief de Sanois a droit de pressoir et taureau banaux, il faut que M. l’abbé de Breteuil fasse abattre ses pressoirs, et que ses fermiers fassent tuer leurs taureaux, parce que ces droits ne peuvent s’étendre sur ce qui mouve (qui sont dans la mouvance) dans la directe de ce fief (2) et non ailleurs. M. l’abbé de Breteuil en sa qualité de seul seigneur haut justicier a spécialement le même droit sur toute l’étendue de sa seigneurie d’Annet ». Les fermiers de la censive de Sanois (3) doivent solliciter le taureau banal de ce fief, mais comme Sanois est mouvant de la seigneurie d’Annet le taureau banal du prieur a aussi son mot à dire, si on peut s’exprimer ainsi… Grave problème. Heureusement à l’issue de la transaction il est prévu que toutes les terres de la censive de Sanois passeront dans celle du prieur, alors Sanois ne possédant plus (ou peu) de vignes et de troupeau, il n’y a plus de raison que ce fief possède un pressoir et un taureau banaux : « D’ailleurs jamais les propriétaires de ce fief n’ont usé de leur droit de pressoir, parce qu’ils n’y a pas assez de vignes dans la directe de mouvance de ce fief pour fournir aux frais de l’entretien d’un pressoir, et l’arrangement proposé une fois terminé, il ne lui restera plus aucune vigne dans sa censive, ainsi il ne pourra plus user du droit de pressoir. Il en sera de même du taureau banal ». Plus de censive, plus de taureau banal pour Sanois. En 1771, « l’atlas de l’élection de Meaux » recense 125 vaches à Annet, espérons que celui de messieurs de Saint-Martin sera épaulé par quelques collègues…

Notes :

1 – Cette porte mettait en communication le parc du château de Fresnes, clos de murs, avec le terroir d’Annet. Les murs ont disparu, par contre l’emplacement de la porte est muré. Il reste, construit au début du XVIIème siècle, le petit pont franchissant la Beuvronne.

2 – directe  : le seigneur pouvait posséder une partie de terres dont il avait l’exploitation  : sa « réserve », le reste constituait sa « directe » sur laquelle s’exerçaient ses droits seigneuriaux.

3 – une censive est l’ensemble des terres dont les paysans paient le cens à un même seigneur

rédacteur : Jean CRAPART