Jean Bardin est né en Bourgogne, à Montbard (Côte-d’Or), le 31 octobre 1732. A seize ans, ses parents l’envoient à Paris pour y faire l’apprentissage du commerce mais, très vite, il se tourne vers les arts. A dix-neuf ans, il entre dans l’atelier de Lagrenée l’aîné (1724-1805) puis, plus tard, dans celui de Jean-Baptiste Pierre (1714-1789), premier peintre du roi (le musée Bossuet de Meaux possède quelques toiles de ce peintre). Il est inscrit comme élève à l’Académie royale de peinture où il obtient le « grand prix  » (prix de Rome) en 1765 où il ne se rendra qu’en décembre 1768. Il est accompagné d’un de ses très jeunes élèves Jean-Baptiste Regnault (1754-1829) qui fera, plus tard, une grande carrière. Auparavant, il a épousé « une parisienne », Marie-Madeleine Le Gein dont il aura (au moins) trois enfants.

A noter que le peintre DAVID, fut aussi de ses élèves, pendant peu de temps.

De retour à Paris en 1773, il reçoit des commandes royales dont une Adoration des Mages pour Louis XVI, dans la chapelle de la Trinité du château de Fontainebleau. La production de sujets religieux est complétée par des scènes mythologiques dans le goût de l’époque et par bien d’autres sujets.

En mars 1779, le peintre est agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture et, à partir de cette année, il exposera régulièrement au Salon de Paris. Il sacrifiera sa fonction d’académicien pour la direction de l’Ecole de Dessin d’Orléans.  Il sera le cofondateur du très beau musée d’Orléans. Il mourra dans cette ville le 6 octobre 1809.

Né en Bourgogne, peintre parisien puis orléanais, en quoi cet artiste concerne-t-il Charmentray ? Dans des circonstances et pour des raisons ignorées, la fille cadette de Jean et Marie-Madeleine est née à Charmentray. Le plus ancien registre paroissial conservé à la mairie commence à l’année 1762. En 1768, quinze cérémonies (baptêmes, mariages ou obsèques) furent enregistrées dans la paroisse. A la date du 22 mai, on y trouve mention de la naissance (le 20) d’Ambroise-Marguerite « du légitime mariage du Sr. Jean Bardin, artiste et de dame Marie-Magdeleine Le Gein ». Le parrain est Ambroise Marmet « premier comis du bureau des hypothèques à Paris » et la marraine « demoiselle Marguerite Bardin tante de I‘enfant ». Le baptême a été célébré ce jour par le curé Caro, « doyen rural de Claye ».

La petite église de Charmentray possède un tableau de Jean Bardin. Il s’agit d’une Résurrection dressée au fond du chœur, au-dessus du maître-autel. On peut penser qu’il a bien été conçu pour cet emplacement et qu’il ne s’agit pas d’un réemploi. Il est mis en valeur par un cadre peint (gris clair) rehaussé de dorures. Au centre du montant supérieur, un écusson sculpté représente la colombe du Saint-Esprit sur fond de rayons d’or. En haut, les deux coins échancrés en quart de cercle sont décorés de feuillages dorés. Ce beau cadre est intégré dans un ensemble de boiserie qui forme un retable.

La toile est malheureusement bien encrassée, craquelée et donc d’une lisibilité limitée. Une restauration lui permettrait probablement de retrouver une partie de ses couleurs. Elle mesure un peu plus d’un mètre quatre-vingt-dix de haut sur un mètre quarante de large. Le couvercle relevé du tombeau souligne horizontalement, sur toute la largeur, le milieu de la composition. Au centre de la partie supérieure, en un mouvement ascensionnel légèrement dirigé vers la gauche on voit un Christ se détachant sur un ciel doré, auréolé, qui semble une trouée de lumière au milieu des nuages. Les bras sont largement écartés mais en diagonale. La paume de la main droite, plus basse est tournée vers la terre. La main gauche, proche de la limite supérieure de la toile, est tournée vers le ciel. La jambe gauche s’avance vers le spectateur, le pied percé par le clou occupant quasiment le centre de la composition. La jambe droite est lancée vers l’arrière.

A gauche, au-dessus, un ange maintient le couvercle qu’il vient d’ouvrir. Trois soldats endormis ou effrayés (l’état de la toile ne permet guère d’en dire plus) occupent, horizontalement, le dernier tiers inférieur : l’un d’eux a la tête tournée vers la gauche, un autre, la tête tournée vers la droite. Du troisième on ne voit que le sommet du crâne et le haut du corps.

En bas et à droite, la presque totalité de la surface située sous la diagonale est occupée par un soldat romain debout légèrement plus grand que le Christ (perspective oblige). Il porte un casque et son équipement militaire est clairement identifiable. Il se tient dans une position de combat ou, plutôt de défense. La jambe droite verticale est solidement plantée sur le sol. La jambe gauche, levée, induit un mouvement entraînant l’ensemble du corps en une poussée oblique. De la main droite, il porte une lance. Son bras gauche maintient fermement le bouclier traditionnel du centurion. Cette poussée bien indiquée, du bas-gauche vers le haut-droit parait faire avec celui de l’ascension du Christ vers le haut-gauche un angle quasiment droit. En bref on trouve là une composition qui ne manque ni de réflexion ni d’habileté. Le tableau est signé à droite à une vingtaine de centimètres du bas : Bardin. Il est daté : 1780.

Le couple Bardin a eu (au moins) trois enfants. Le premier, un garçon, qu’on connait peu. Ambroise-Marguerite, la fille cadette, avait des dispositions pour la peinture. Elle devint l’élève de son père. Le musée d’Orléans possède, de sa main, un portrait miniature de Jean Bardin et un autoportrait sur lequel elle se représente peignant son père. Le 11 février 1793, elle épousera, à Orléans, l’adjoint de son père, le sculpteur Pierre-François Mollière qui dirigera ensuite une fabrique de porcelaine. On peut voir au musée historique d’Orléans quelques unes de ses productions peintes par son épouse.

Un autre garçon est né à Paris, en 1774, le 30 avril ou le 31 mai car les archives de Paris conservent deux actes portant des dates différentes. Il s’agit d’Etienne-Alexandre qui fit une brillante carrière militaire. Il devint aide de camp de Junot puis colonel faisant fonction de général de brigade. Il fut nommé baron d’Empire et mourut à Montargis en 1840.Il est l’auteur de plusieurs traités militaires.

Reste à comprendre l’épisode de Charmentray. Il se situe donc en mai 1768 et le peintre va bientôt partir pour Rome où il arrivera en décembre de la même année.

Pourquoi madame Bardin résidait-elle dans ce village au moment où elle allait mettre au monde sa fille ? Les Bardin étaient-ils provisoirement ici chez un de leurs amis ou chez un commanditaire ? Si oui qui, dans le village, pouvait les accueillir ? Cette présence est-elle liée au proche départ du peintre pour l’étranger ? Quel rapport existe-t-il entre la naissance de l’enfant et la présence du tableau dans l’église ? Douze années se sont écoulées jusqu’à la réalisation de l’œuvre. On aurait pu faire l’hypothèse d’un don du peintre en action de grâce pour la naissance de sa fille, mais alors il serait bien tardif. Entre les deux épisodes, Bardin est parti en Italie de novembre-décembre 1768 jusqu’à 1772 ou au tout début de 1773. Son fils, le futur militaire nait dans la capitale en 1774. On trouve l’artiste au travail à Paris pendant toutes ces années 70 et, en mars 1779, il est agréé à l’Académie. En 1780, lorsqu’il termine la toile de Charmentray, il commence donc déjà à être un artiste reconnu.

On dit que Marie-Madeleine Le Gein était « parisienne » mais on ne trouve trace de sa naissance aux archives de Paris, très incomplètes il est vrai, mais son acte de décès à Orléans, en 1805, indique bien « native de Paris ». Elle est morte à 63 ans : elle était donc née aux alentours de 1742. Ses aïeux et parents étaient peut-être briards ce qui laisserait ouverte celle piste d’une attache familiale à Charmentray.

Toute suggestion serait bienvenue pour tenter d’élucider ce petit mystère.

rédacteur : Jean-Louis DUCOINS