« Les premiers faits signalant la débâcle des armées allemandes furent le passage sur la route nationale de plusieurs wagons-citernes d’essence qui s’acheminaient vers l’Est, et leur bombardement par des avions américains. Ceci provoqua de terribles détonations et déflagrations qui firent trembler nos maisons et voler des vitres en éclats.
Vers le 20 août 1944, les Allemands, fuyant Paris, investirent le village, et principalement la maison CHEFD’HOTEL, sise en face du canal de l’Ourcq, et la Poste, bâtie à côté de cette maison.
Cette occupation leur permettait, d’une part d’envoyer et de recevoir des messages téléphoniques, et d’autre part de protéger le pont, seul moyen pour l’armée en déroute, venant de Lagny, de rejoindre la Nationale de Meaux.
L’officier qui commandait le groupe chargé de cette défense ordonna de couper les troènes, le long de la grille, pour élargir le champ de tir d’une mitrailleuse, gardée jour et nuit.
Pendant ce temps, les habitants des deux maisons furent prisonniers dans les sous-sols, où ils devaient même dormir, les Allemands occupant toutes les pièces habitables. Comme il n’y avait pas l’eau courante, et qu’il fallait aller en chercher à une pompe au village, les soldats armés accompagnaient les deux hommes de nos familles lorsqu’il fallait aller se ravitailler.
Bientôt, nous vîmes passer les soldats vaincus, fuyant sur des vélos sans pneus, sur des camions déjà chargés de matériel ou d’otages. On en vit, blessés, roulés dans des brouettes par un camarade épuisé, il en passa même un, juché sur un âne…Mais la plupart était à pied et passait silencieusement.
Un camion rempli d’otages s’arrêta le long de notre grille et les prisonniers nous demandèrent à boire. Parmi eux, se trouvait un Noir qui réussit à communiquer avec M. GIUDICI, le facteur. Celui-ci lui dit que s’il réussissait à s’évader, il pourrait revenir par le chemin de halage jusqu’à Fresnes, où il serait aidé.
Le lendemain, les Allemands qui occupaient nos maisons partirent à leur tour, le flot des fuyards semblant écoulé. Nous pouvions reprendre possession de nos demeures et sortir librement, mais nous craignions que d’autres Allemands arrivent. Cependant, on me laissa (j’avais alors 11 ans) aller promener avec le bébé de la Poste, sur la route de Précy. Voulant reprendre le bord du canal pour revenir, je passai par une brèche en friche entre la route et le canal. J’entendis alors un long sifflement. Je m’arrêtai et vis une tête noire surgir d’un buisson : c’était l’otage qui avait réussi à se sauver ! Il me demanda d’aller prévenir M. GIUDICI et lui seul, bien entendu, ce que je fis immédiatement. Le facteur lui donna de l’argent et de la nourriture et, l’ayant caché une nuit, le laissa repartir pour Paris, d’où il venait.
Deux jours plus tard, à notre réveil, le port de Fresnes était couvert de soldats qui prenaient un moment de repos : c’étaient les Américains ! Nous avions passé la nuit dans un abri creusé dans le jardin, à entendre des coups de feu dans les marais et sur la route, mais les plus jeunes s’étaient finalement endormis et nous étions émerveillés de voir chez nous ces soldats alliés dont on nous avait tant parlé !
Nous courûmes vers eux : ils nous donnèrent du fromage rose, du chocolat, des boîtes de sardines, friandises sublimes pour les enfants privés de tout depuis quatre ans. La grande révélation fut le chewing-gum, dont nous ignorions complètement l’usage…
Les adultes, eux, avaient les larmes aux yeux. Des drapeaux, cachés jusque-là, ou confectionnés en cachette avec les tissus les plus hétéroclites, pavoisèrent nos fenêtres : FRESNES était libéré !
C’était le 28 août 1944. »
Souvenirs de D.CREMEL, née CHEFD’HOTEL.