« Dia !… Hue !… Ho !…« , tels étaient les cris habituels que l’on entendait à la sortie des fermes. C’était le langage du charretier conduisant ses chevaux.
« Hue« , en avant, pour le départ, « Ho » pour l’arrêt, « Dia » pour tourner à gauche et « Hue-Ho » vers la droite.

L’homme et ses chevaux

Habillé d’un pantalon de velours à côtes, l’hiver d’une veste de toile épaisse et l’été d’un gilet sans manche, la taille prise dans une ceinture de flanelle grise, coiffé d’une casquette à visière de cuir ou de carton bouilli selon ses moyens, parfois d’un chapeau de feutre ou de paille, chaussé d’une paire de solides brodequins, lacets de cuir et semelles cloutées, le charretier menait son attelée avec adresse et autorité. Ses chevaux formaient un « équipage » dont il ne changeait jamais. Le fouet était son compagnon. Il ne lui servait jamais pour un châtiment quelconque, seulement il le claquait dans l’air, au-dessus des bêtes, pour donner le signal du départ, ou pour activer un peu le pas, occasionnellement pour saluer au passage une connaissance dans le village. Le fouet avait un langage entre charretiers : un coup sec ou trois coups courts disaient à qui appartenait l’équipage se rendant en plaine.

La conduite des animaux était réglementée

Le charretier devait toujours marcher à gauche de son attelage, cette règle était absolue, (1) gare à celui qui l’oubliait, le garde champêtre et les gendarmes veillaient ! Il était également interdit de laisser un équipage à l’abandon. Les chevaux n’étaient pas toujours dociles, il fallait les empêcher de divaguer et éviter qu’ils ne s’empêtrent dans les traits (chaînes, cordeaux) les uns des autres.

Le côté gauche du cheval, « le côté montoir » permettait au charretier de monter en amazone sur le dos du « chevillé » (2) lorsque l’attelage partait en plaine. C’était quelques kilomètres de marche en-moins et un peu de fatigue économisée.

De retour le soir à la ferme le charretier n’avait pas terminé sa journée, il devait dételer et soigner ses chevaux. Les harnais, colliers licous, sellette et sous-ventrière pour le limonier, étaient accrochés individuellement sur des supports, un par cheval, scellés dans les murs des écuries. Libérées, les bêtes passaient à l’abreuvoir pendant que le charretier remplissait les auges d’avoine ou de mélasse (3) avec une botte de paille ou de foin, au-dessus, dans les râteliers. Après les avoir bouchonnées (4) il devait se préoccuper de savoir si une petite blessure à l’épaule, à l’emplacement du collier, n’empêcherait pas l’une d’entre elles de travailler le lendemain.

Les semailles

La préparation de la terre pour les semailles était effectuée par différents équipages conduits par des charretiers ou des bouviers : passage du canadien (5) qui ouvre la terre, de la herse pour niveler, du rouleau qui serre la terre avant le passage du semoir.

La moisson

A la moisson, la faucheuse-lieuse était tractée par trois chevaux tirant de front ou attelés « en palonnier  » pour deux d’entre eux, le troisième étant devant. Les gerbes de blé ou d’avoine, derrière la faucheuse, étaient rassemblées par tas de onze (6), le grain finissant de sécher en attendant d’être transporté par les chariots vers la ferme, les hangars ou les meules.

Les chariots à deux roues, appelés « voitures » dans la région de Meaux, utilisés pour la moisson et les foins, ou les tombereaux pour rouler les betteraves ou le fumier, étaient tirés par un équipage de trois chevaux attelés en ligne. Le charretier qui rentrait la dernière voiture de gerbes (blé ou avoine) remettait à la patronne ou au patron le « bouquet« . Composé d’épis d’avoine ou de blé et de coquelicots, quand il en restait, il était fixé au-dessus de la porte des écuries où il demeurerait jusqu’à la moisson suivante. La journée se terminait autour d’une table dressée par la patronne et les servantes pour le « chien d’août » (prononcez da-ou) encore appelé « la glane« . Tous les ouvriers de la ferme pouvaient déguster des gâteaux maison, arrosés de vin ou de cidre, dans la bonne humeur malgré la fatigue, avec la satisfaction de voir se terminer les rudes journées qu’ils venaient de vivre.

Ainsi allaient les travaux de la terre accomplis par une équipe d’hommes et de femmes dans laquelle chacun avait une tâche déterminée. On aurait pu croire à une grande famille dans laquelle souvent les enfants succédaient aux parents.

Notes :

1 – déjà en 1773, le règlement de police d’un village du pays de France précisait : « faisons aussi déffences à tous propriétaires et conducteurs de chevaux et autres bestiaux de les laisser vaguer ça et là sans que personne soit à leur conduite ». [retour]

2 – Chevillé : ou en cheville ou de cheville, celui du milieu de trois chevaux attelés en ligne il précède le limonier placé dans les brancards ou limons et suit le cheval de flèche. Le règlement de 1773, déjà cité, autorisait cette pratique : « faisons pareillement déffences aux conducteurs de voitures attelées de deux chevaux et plus en long, de monter dans lesdites voitures en les conduisant leur enjoignons de les conduire sagement à pied ou montés sur leur cheval de cheville… ». [retour]

3 – Mélasse : matière brune sirupeuse résidu de la fabrication du sucre, mélangée à de la paille. [retour]

4 – Bouchonnées : [retour]

5 – Canadien : on devrait dire « un cultivateur canadien ». Un cultivateur est une sorte de herse montée sur deux roues, équipée de grandes dents larges et courbes plus ou moins flexibles, et utilisée pour griffer profondément la terre. [retour]

6 – Des tas de onze gerbes en principe dix gerbes debout et une onzième posée à plat au dessus mais certains contestent, ils se souviennent de tas de 9 gerbes pour le blé, de 4.ou de 7 pour l’avoine. [retour]