Le lecteur prendra certainement plaisir à lire (ou relire) un ancien article de notre revue « CLIO…À : ». « Les meules », rédigé par Michel Cheverry, qui nous dépeint avec nostalgie un des aspects importants de la vie de nos campagnes, rythmée par les saisons, dans les années 1920-1950 : le moyen de conserver une partie des récoltes de blé en édifiant des meules rondes à chapeau conique. Elles caractérisaient d’une manière typique, dans les jours qui suivaient les moissons, le paysage de nos plaines de la Brie.

 

Les meules

Les plus anciens d’entre nous, qui ont parcouru la plaine dans leur jeunesse pour y travailler ou s’y promener ne peuvent oublier les meules de blé  qui la jalonnaient, en août après la moisson. Dans les années 1945-1946, il n’était pas surprenant d’en voir trente ou quarante dans la plaine autour de Messy. À cette époque, les rendements étaient tels qu’il n’était plus possible de rentrer la totalité de la récolte à la ferme et la moissonneuse-batteuse qui existait déjà depuis plusieurs années n’était pas encore très répandue.

Certains se souviennent et racontent…

 

Lorsque la moissonneuse avait coupé la moisson et lié les gerbes, celles-ci étaient mises en tas de 9 à 11 bottes, en principe dix, d’où le nom de « diziaux » qui leur était parfois donné. Les jours suivants, elles étaient chargées dans de grands chariots tirés par trois chevaux  et transportées à la ferme pour y être engrangées. Une fois les granges remplies, il fallait bien stocker le reste de la récolte. On construisait des meules dans les champs à proximité des routes en prévision du futur transport vers la ferme pour le battage lorsque les grands travaux de l’été et de l’automne seraient terminés.

 

Construire la Meule

C’était une affaire de spécialistes, la meule devait être stable et étanche pour résister aux vents et aux pluies de l’automne.

Il fallait environ 20 voitures de 300 gerbes, soit 6000 gerbes représentant de 200 à 250 quintaux de blé pour faire une meule de 4 mètres de diamètre à la base. D’abord, on étalait sur le sol une couche de paille nommée «  sous-trait  » ou « lit » sur laquelle la meule serait bâtie. Les gerbes étaient disposées en cercle, épis tournés vers le centre, bien serrées, en couches régulières, chaque couche dépassant légèrement la précédente de telle sorte que le diamètre s’agrandisse. Deux hommes appelés « tasseurs » étaient chargés de ce travail, le premier plaçait les bottes de la périphérie, le second celles du centre. La construction devait être bien équilibrée, les gerbes s’écrasant avec le temps sous le poids de l’ensemble. Progressivement la meule s’élevait jusqu’à une hauteur de 2,50 m à 3 m, où se situait le « cordeau » ou « couronne » marquant la limite entre la partie cylindrique et la partie conique.

Il restait à faire la pointe. Une étape intermédiaire devenait vite nécessaire entre la charrette qui se vidait et la meule qui s’élevait. Un échafaudage appelé « théâtre » était monté, ses pieds reposaient sur le sol et son plancher était ancré dans la meule. Un homme y prenait place, il assurait le relais : il recevait les gerbes que l’ouvrier de la charrette  lui passait au bout d’une fourche et les transmettait de la même manière au sommet de la construction. Au fur et à mesure que la pointe s’élevait, des trous étagés, les « fenêtres », y étaient aménagés, des ouvrières  s’y installaient et ainsi, de fenêtre en fenêtre et de fourche en fourchière la gerbe passait de la voiture au sommet de la meule. II fallait environ une journée pour monter une meule.

Couvrir la meule

Quelques jours après son achèvement, quand la pointe avait pris son assise, on procédait à sa couverture pour la protéger des intempéries. C’était le travail du « couvreur » et de son aide. Ils utilisaient de la paille de seigle ou de blé de printemps (une paille fine et longue) apportée par le fermier au pied de la meule, ainsi que des piquets et de la ficelle lieuse.

Le premier travail du couvreur, après avoir placé ses échelles, était de confectionner de petites gerbes liées près des épis qu’on appelait «  torches ». Les premières torches étaient posées une à une, serrées, sur la couronne. Elles dépassaient d’une trentaine de centimètres pour servir « d’égout » et protéger le pied de la meule de la pluie Les autres étaient placées ensuite, les épis vers le bas, se recouvrant partiellement à la manière des tuiles de nos toits, depuis l’égout jusqu’au haut de la pointe. L’ensemble était maintenu par les piquets placés à environ 80 centimètres les uns des autres en tous sens et reliés par la ficelle pour éviter la prise au vent. Une bonne couverture pouvait passer deux hivers sans se détériorer.

Ce travail était réalisé « à la tâche » (c’est-à-dire pour une rétribution convenue à l’avance quel que soit le temps réellement passé), la valeur d’une couverture était égale au prix d’un quintal du blé qu’elle protégeait.

 

L’emploi systématique de la moissonneuse-batteuse a fait disparaître les meules. Aujourd’hui l’engin arrive dans le champ, coupe les épis, sépare la paille qui est souvent broyée sur place du blé qui est craché par une goulotte dans la remorque d’un tracteur qui suit la moissonneuse dans son déplacement. La remorque pleine à ras bord est directement dirigée vers le silo de la ferme ou de la coopérative en perdant un peu de blé à chaque cahot ou virage. Cela fait le bonheur des oiseaux. Cette modernisation a entraîné la disparition des spécialistes : que sont devenus les « tasseurs » et les « couvreurs » ? Ainsi va le progrès, telle ferme qui comptait jusqu’à 20 ou 30 ouvriers, y compris les saisonniers, aujourd’hui ne nécessite plus que la présence d’une ou deux personnes, et encore il n’est pas facile de les employer à plein temps toute l’année.

rédacteur : Michel CHEVERRY